21

 

 

Jondalar et Ayla coururent derrière Loup. En approchant de l’abri, ils virent un attroupement dans le pré où les chevaux broutaient puis découvrirent une scène qui aurait pu les faire sourire si elle n’avait été aussi effrayante. Jonayla se tenait devant Grise, les bras tendus comme pour protéger la jeune jument, et faisait front à six ou sept hommes armés de sagaies. Whinney et Rapide, placés derrière, regardaient fixement les inconnus.

— Dites donc, qu’est-ce que vous faites ? cria Ayla.

Comme elle n’avait pas son propulseur avec elle, elle dénoua sa fronde.

— À ton avis ? répliqua l’un des hommes. On chasse le cheval.

Ayant remarqué l’accent étrange de cette femme, il ajouta :

— Tu es qui, toi ?

— Je suis Ayla, de la Neuvième Caverne des Zelandonii. Et ne vous avisez pas de chasser ces chevaux. Vous ne voyez pas qu’ils ne sont pas comme les autres ?

— Qu’est-ce qu’ils ont de spécial ? Moi, je les trouve ordinaires.

— Ouvre les yeux, intervint Jondalar. Tu as vu souvent des chevaux se tenir tranquilles derrière un enfant ? Pourquoi ils ne s’enfuient pas, d’après toi ?

— Peut-être parce qu’ils sont trop bêtes.

— C’est toi qui es trop bête pour comprendre ce que tu vois, rétorqua Jondalar, furieux de l’insolence du jeune homme qui semblait parler pour le groupe.

Il émit un sifflement perçant et les chasseurs virent l’étalon tourner la tête vers le grand homme blond, puis se mettre à trotter vers lui. Jondalar se plaça devant Rapide, arma ostensiblement son lance-sagaie, sans toutefois viser les hommes.

Ayla passa entre sa fille et les chasseurs, fit signe à Loup de la suivre et de protéger les chevaux. L’animal gronda en montrant ses crocs aux chasseurs, qui reculèrent de quelques pas. Ayla souleva Jonayla et la mit sur Grise. Elle saisit ensuite la crinière de Whinney et sauta sur son dos. Chacun de ses mouvements causa chez les chasseurs une stupeur croissante.

— Co… comment tu fais ça ? bredouilla le premier.

— Ils ne sont pas comme les autres, je te l’ai dit. Il ne faut pas les chasser.

— Tu es une Zelandoni ?

— Elle est acolyte, répondit Jondalar à la place de sa compagne. Premier Acolyte de la Zelandoni Qui Est la Première parmi Ceux Qui Servent la Mère, et qui ne tardera pas à arriver.

— La Première est ici ?

— Elle nous rejoint, dit Jondalar en examinant plus attentivement les membres du groupe.

Ils étaient tous jeunes. Sans doute récemment initiés, ils devaient partager une lointaine dans une Réunion d’Été. Probablement celle qui se déroulait près de la grotte sacrée où le Périple les mènerait ensuite.

— Vous n’êtes pas un peu loin de votre Réunion ? lança Jondalar aux chasseurs.

— Comment le sais-tu ? Tu ne nous connais pas.

— Ce n’est pas difficile à deviner. C’est la période des Réunions d’Été et vous avez tous à peu près l’âge auquel les jeunes gens décident de quitter le camp de leur mère pour s’installer dans une lointaine. Pour montrer que vous êtes devenus indépendants, vous décidez d’aller chasser et de rapporter de la viande. Mais vous n’avez pas eu de chance et maintenant vous avez faim.

— Comment le sais-tu ? répéta le jeune homme. Tu es un Zelandoni, toi aussi ?

— Simple supposition, répondit Jondalar, qui remarqua que la Première arrivait, suivie de tous les autres.

Malgré sa corpulence, elle pouvait marcher vite quand elle le voulait. Un coup d’œil lui suffit à saisir la scène : des hommes armés de sagaies, trop jeunes pour avoir de l’expérience ; le loup en posture défensive devant les chevaux ; la fronde dans la main d’Ayla, le lance-sagaie dans celle de Jondalar. Jonayla avait-elle envoyé Loup chercher sa mère tandis qu’elle tentait de protéger les chevaux d’une poignée de chasseurs novices ?

— Un problème ? s’enquit-elle.

Sans l’avoir jamais vue, les jeunes gens surent aussitôt qui elle était. Ils avaient tous entendu décrire la Première et ils comprenaient le sens des tatouages de son visage, des colliers et des vêtements qu’elle portait.

— Plus maintenant, mais Jonayla a dû empêcher ces garçons de chasser nos chevaux, répondit Jondalar en réprimant une envie de sourire.

Courageuse, cette enfant, pensa la doniate, dont l’évaluation de la situation se trouva ainsi confirmée.

— Êtes-vous de la Septième Caverne des Zelandonii du Sud ? demanda-t-elle aux jeunes gens.

La Septième, où le groupe devait ensuite se rendre, était la plus importante Caverne de la région. Elle avait deviné d’où venaient les jeunes chasseurs aux motifs de leurs habits. Dans sa propre région, elle connaissait toutes les broderies, tous les bijoux par lesquels les Cavernes se différenciaient, mais à mesure qu’elle s’en éloignait, elle les identifiait moins facilement, même si elle pouvait faire des suppositions judicieuses.

— Oui, Zelandoni Qui Est la Première, répondit le porte-parole du groupe d’un ton beaucoup plus déférent.

Il était toujours sage de se montrer prudent avec un membre de la Zelandonia, et plus encore avec la Première.

Le Zelandoni et d’autres membres de la Caverne locale étaient arrivés et observaient la scène en se demandant quel sort cette femme puissante réservait aux jeunes gens qui avaient menacé les chevaux de ses compagnons de voyage.

La Première se tourna vers les chasseurs de cette Caverne et leur dit :

— Apparemment, nous avons sept bouches de plus à nourrir. Cela épuiserait vite nos réserves. Je crois que nous allons rester un peu plus longtemps et attendre que vous organisiez une chasse. Vous aurez de l’aide, rassurez-vous. Nous comptons plusieurs chasseurs émérites dans notre groupe et, bien conseillés, ces jeunes gens eux-mêmes devraient pouvoir apporter leur contribution. Je suis certaine qu’ils seront tout disposés à le faire, vu les circonstances, conclut-elle en lançant un regard sombre au jeune porte-parole.

— Oui, bien sûr, marmonna-t-il. Chasser, c’était ce que nous faisions.

— Pas très bien, semble-t-il, intervint à mi-voix un des spectateurs, assez fort cependant pour être entendu de tous.

Plusieurs des jeunes gens se détournèrent en rougissant.

— Vous avez repéré des troupeaux, récemment ? demanda Jondalar en s’adressant aux deux chasseurs de la Caverne locale. Il nous faudra abattre plus d’une bête.

— Non, répondit l’un d’eux, mais c’est la saison de migration des cerfs, en particulier des biches et des faons. Quelqu’un pourrait aller les guetter, mais cela prend généralement quelques jours.

— La harde viendrait d’où ? demanda Jondalar. Je peux aller voir cette après-midi avec mon cheval. Il est plus rapide que n’importe qui à pied. Si je repère des cerfs, je pourrai retourner les pousser par ici avec Ayla. Loup nous aiderait aussi.

— Vous… vous pouvez faire ça ? balbutia le jeune homme.

— Ce sont des chevaux spéciaux, nous te l’avons dit.

 

 

La viande de cerf était restée toute la nuit sur des cordes tendues au-dessus d’un feu en partie étouffé. En en mettant des morceaux dans sa boîte à viande, Ayla regrettait de ne pas pouvoir la faire sécher plus longtemps mais le groupe avait déjà passé dans la Caverne deux jours de plus que ce qu’avait prévu la Première. Ayla songea qu’elle pourrait continuer à la faire sécher au-dessus d’un feu en chemin, ou même après leur arrivée à la Septième Caverne des Zelandonii du Sud, où ils resteraient un moment.

Le groupe du Périple de Doniate s’était encore grossi puisque les sept jeunes gens les accompagneraient. Ils s’étaient révélés utiles pendant la chasse, quoiqu’un peu impatients. S’ils savaient lancer une sagaie, ils ignoraient comment coopérer pour rabattre le gibier vers les autres chasseurs ou l’acculer au fond d’un ravin. Ils avaient été très impressionnés par les propulseurs utilisés par les voyageurs venus des terres situées au nord de la Grande Rivière, y compris par l’acolyte de la Première. Les deux chasseurs locaux, qui avaient entendu parler de cet instrument mais n’avaient jamais vu quelqu’un s’en servir, l’avaient été tout autant. Avec l’aide de Jondalar, presque tous avaient fabriqué leur propre lance-sagaie, avec lequel ils s’exerçaient désormais.

Ayla avait également persuadé Dulana de les accompagner et de profiter au moins en partie de la Réunion d’Été. Son compagnon et ses enfants lui manquaient et elle avait envie de les retrouver, même si elle s’inquiétait encore pour les cicatrices de son visage et de ses mains. Elle partageait un espace à dormir avec Amelana et les deux femmes avaient sympathisé car Dulana parlait volontiers de son expérience de la grossesse et de l’accouchement. Amelana ne se sentait jamais à l’aise pour aborder ces sujets avec la Première ou son acolyte, bien qu’Ayla eût un enfant. Elle les avait entendues discuter de remèdes, de traitements, de savoirs et de coutumes de la Zelandonia que, pour la plupart, elle ne comprenait pas, et elle était intimidée par ces deux femmes exceptionnelles.

Amelana appréciait par ailleurs l’attention que lui accordaient les jeunes hommes, aussi bien les chasseurs de la lointaine que les apprentis de Willamar. Pendant que Jondalar attelait à Whinney le travois spécial de la Première avec l’aide de Jonokol et de Willamar, Ayla et la doniate observaient le petit jeu d’Amelana et des jeunes gens.

— Ils me rappellent une portée de louveteaux, dit l’acolyte.

— Quand as-tu vu des louveteaux ?

— Quand j’étais jeune et que je vivais avec le Clan. Avant de commencer à chasser des carnivores, je les ai longuement observés, parfois des journées entières quand je le pouvais. J’ai observé toutes sortes de chasseurs à quatre pattes, pas seulement des loups. C’est ainsi que j’ai appris à traquer le gibier en silence. Les jeunes de toutes les bêtes me fascinaient, mais j’étais particulièrement attirée par les louveteaux. Ils aiment jouer, comme ces garçons – je suppose que je devrais dire ces « jeunes hommes » mais ils se conduisent encore comme des garçons. Regarde-les se bousculer et se donner des bourrades pour attirer l’attention d’Amelana…

— Je remarque que Tivonan et Palidar ne sont pas avec eux. Ils doivent savoir qu’ils auront tout le temps de la serrer de près quand les jeunes chasseurs nous quitteront, après la visite du Site Sacré suivant.

— Tu penses qu’ils iront voir ailleurs lorsque nous arriverons à la prochaine Caverne ? Amelana est très attirante, fit observer Ayla.

— Elle est aussi leur seul public pour le moment. Quand ils arriveront à leur camp, avec de la viande de cerf à partager, ils se retrouveront au centre d’un cercle admiratif de parents et d’amis. Tous les questionneront, impatients d’entendre ce qu’ils auront à raconter. Ils n’auront plus de temps pour Amelana.

— Tu crois qu’elle en sera triste ou vexée ?

— Elle aura de nouveaux admirateurs et ce ne seront pas tous des gamins. Une jolie jeune veuve enceinte ne manquera pas d’attention, et les apprentis de Willamar non plus. Je suis contente qu’aucun d’eux ne se soit entiché d’Amelana. Ce n’est pas le genre de femme qui ferait une bonne compagne pour eux. La compagne d’un voyageur doit avoir des centres d’intérêt propres et ne pas dépendre de son homme pour la distraire.

Ayla songea qu’elle était contente que Jondalar ne s’occupe pas de troc ou d’une autre activité qui le tiendrait longtemps éloigné. Elle avait ses propres centres d’intérêt mais elle se ferait du souci pour lui s’il restait longtemps parti. De temps à autre, il emmenait ses apprentis chercher de nouveaux gisements de silex et examinait souvent les sources potentielles pendant les expéditions de chasse, mais voyager seul pouvait être dangereux. S’il était blessé, ou pire, comment le saurait-elle ? Elle passerait son temps à attendre en se demandant s’il rentrerait un jour. Voyager en groupe ou même à deux ne posait pas ce problème. Il y en avait toujours un au moins qui pouvait rentrer et prévenir.

L’idée lui vint que Willamar ne choisirait peut-être pas un seul de ses apprentis comme nouveau Maître du Troc. Il pouvait désigner les deux et suggérer qu’ils voyagent ensemble. Bien sûr, la compagne d’un Maître du Troc pouvait aussi voyager avec lui, mais une fois qu’elle aurait des enfants elle hésiterait à s’éloigner des autres femmes. Cela aurait été beaucoup plus difficile pour moi si j’avais eu un bébé pendant notre Voyage, pensa Ayla. La plupart des femmes souhaitent avoir l’aide et la compagnie de leur mère, de leurs amies… exactement comme Amelana. Je ne la blâme pas de vouloir retourner chez elle.

 

 

Une fois en route, les voyageurs établirent rapidement une routine. Après le succès de leur chasse, ils n’eurent pas à s’arrêter pour se procurer de la viande et progressèrent un peu plus vite. Ils consacrèrent en revanche plus de temps à la cueillette. Cette période de l’année leur offrait une abondance et un choix plus grand de légumes – racines, tiges, feuilles – et de fruits.

Le jour de leur départ, en milieu de matinée, alors que la température commençait à s’élever, Ayla sentit une délicieuse odeur. Des fraises ! Nous devons traverser une zone de fraisiers, pensa-t-elle. Elle ne fut pas la seule à le remarquer et tous furent heureux de faire halte pour cueillir plusieurs paniers du petit fruit rouge très apprécié. Jonayla se passait de panier, elle fourrait les fraises directement dans sa bouche. Ayla lui sourit et se tourna vers Jondalar, qui cueillait à côté d’elle.

— Elle me rappelle Latie, dit-elle. Nezzie n’envoyait jamais sa fille cueillir des fraises pour le repas. L’enfant mangeait toujours tout et ne rapportait rien, sa mère avait beau la gronder, pourtant.

— C’est vrai ? Je ne le savais pas. Je devais être trop occupé avec Wymez ou Talut quand tu parlais à Latie ou à Nezzie.

— Je trouvais même des excuses à Latie, quelquefois. Je disais à Nezzie qu’il n’y avait pas assez de fraises pour tout le monde. C’était vrai : après le passage de Latie, il ne restait pas grand-chose.

Ayla continua à cueillir en silence mais l’évocation de Latie avait fait naître d’autres souvenirs.

— Tu te rappelles comme elle aimait les chevaux ? Je me demande si elle a fini par en trouver un jeune pour le ramener chez elle. Les Mamutoï me manquent, parfois.

— Ils me manquent aussi, dit Jondalar. Danug devenait un excellent tailleur de silex, surtout avec Wymez pour le former.

Quand elle eut fini de remplir son deuxième panier, Ayla remarqua des plantes qu’ils pourraient ajouter au repas du soir et demanda à Amelana et Dulana de l’aider. Emmenant Jonayla, elle alla d’abord sur la berge de la rivière qu’ils longeaient pour arracher des joncs. Les nouvelles racines, les bulbes et le bas des tiges étaient succulents en cette saison. L’épi était gonflé de bourgeons verts, serrés les uns contre les autres, qu’on pouvait faire bouillir ou cuire à la vapeur. Il y avait aussi plusieurs espèces de plantes à feuilles. Ayla repéra la forme particulière de celles de l’oseille et sourit en songeant à leur goût acide. Elle fut ravie également de découvrir des orties, délicieuses une fois cuites et réduites à une masse verte.

Tout le monde apprécia le repas ce soir-là. Au printemps, la nourriture était généralement rare – quelques plantes, de jeunes pousses – et la variété, la profusion de l’été était toujours très attendue. Cette envie de légumes et de fruits s’expliquait par le besoin d’éléments nutritifs essentiels après un long hiver où l’on mangeait surtout de la viande séchée, de la graisse et des racines. Le lendemain matin, ils finirent les restes avec une tisane chaude et se mirent rapidement en route. Ils voulaient parcourir une longue distance ce jour-là pour arriver tôt le lendemain au camp de la Réunion d’Été.

 

 

Le deuxième jour, peu après le départ, les voyageurs se heurtèrent à une difficulté. La rivière qu’ils suivaient s’était élargie, ses berges marécageuses étaient envahies de végétation qui empêchait de marcher près de l’eau. Au milieu de la matinée, après avoir gravi une longue pente, ils parvinrent au sommet d’une butte et découvrirent une vallée. Une chaîne de hautes collines s’étirait autour d’une longue étendue plate dominée par une éminence dressée au confluent de trois rivières : un large cours d’eau venant de l’est et sinuant vers l’ouest, un affluent prenant sa source au nord-est et la petite rivière qu’ils suivaient. Droit devant eux, dans un pré situé entre deux des rivières, on avait installé une myriade d’abris d’été, de huttes et de tentes. Ils étaient arrivés au camp de la Réunion d’Été des Zelandonii vivant au sud de la Grande Rivière, au territoire de la Septième Caverne.

 

 

L’un des guetteurs pénétra en courant dans la hutte de la Zelandonia.

— Venez voir qui arrive ! s’écria-t-il.

— Qui ? demanda le Zelandoni de la Septième Caverne du Sud.

— Des gens, mais pas seulement.

— Toutes les Cavernes sont ici, fit remarquer un autre doniate.

— Alors, ça doit être des visiteurs, avança celui de la Septième.

— Nous attendons des visiteurs cette année ? s’étonna le vieux Zelandoni de la Quatrième Caverne des Zelandonii du Sud tandis que tous se levaient et se dirigeaient vers l’entrée.

— Non, mais c’est comme ça avec les visiteurs, rétorqua le doniate de la Septième.

La première chose qui frappa les Zelandonia lorsqu’ils furent dehors, ce ne fut pas le groupe de gens mais les trois chevaux qui tiraient un curieux assemblage, et dont deux portaient quelqu’un sur leur dos, l’un une enfant, l’autre un homme. Une femme marchait devant le troisième, attelé à un assemblage plus bizarre encore, et lorsqu’ils furent plus près la chose en mouvement qui accompagnait la femme se révéla être un loup ! Le Zelandoni de la Septième Caverne se rappela tout à coup les histoires colportées par des voyageurs revenant du Nord, qui parlaient d’une étrangère, de chevaux et d’un loup. Puis il comprit.

— Si je ne me trompe pas, déclara le grand homme barbu aux cheveux bruns, assez fort pour être entendu du reste de la Zelandonia, nous recevons la visite de la Première parmi Ceux Qui Servent la Mère et de son acolyte.

Il ajouta, à l’adresse d’un acolyte qui se tenait près de lui :

— Fais le tour du camp et ramène autant d’Hommes et de Femmes Qui Commandent que tu pourras.

Le jeune homme partit en courant.

— Elle est plutôt grosse, la Première, je crois, non ? hasarda un Zelandoni replet. Cela ferait une longue route pour une femme obèse.

— Nous verrons, répondit le doniate barbu.

Comme le site le plus sacré de la région se trouvait près de la Septième Caverne, son Zelandoni était généralement reconnu – quoique pas toujours – comme le porte-parole de la Zelandonia locale.

Un attroupement s’était déjà formé quand les chefs des diverses Cavernes commencèrent à arriver. Celle qui dirigeait la Septième rejoignit son Zelandoni et dit :

— Il paraît que la Première nous rend visite ?

— Je crois bien. Tu te souviens des visiteurs que nous avons reçus il y a quelques années ? Ceux qui venaient de très loin au sud ?

— Oui. Maintenant que tu m’en parles, je me rappelle qu’ils nous avaient raconté qu’une des Cavernes du Nord avait accueilli une étrangère qui exerçait un grand pouvoir sur les animaux, les chevaux en particulier, répondit la femme.

Les tatouages qu’elle avait au front étaient semblables à ceux du Zelandoni mais se trouvaient du côté opposé.

— D’après eux, elle était acolyte de la Première. Ils ne l’avaient pas beaucoup vue, du moins pas avant leur départ. Son compagnon est un Zelandonii qui, après un Voyage de cinq ans, l’a ramenée à son retour. Lui aussi a un pouvoir sur les chevaux, et ils ont un loup, en plus. Il me semble que ce sont eux qui arrivent. Et il est probable que la Première les accompagne.

 

 

Ils ont des guetteurs efficaces, se dit la Première tandis que les voyageurs montaient vers une vaste hutte qu’elle supposa être celle de la Zelandonia. Ils ont eu le temps de rassembler beaucoup de gens pour nous accueillir.

Ayla fit signe à Whinney de s’arrêter et quand la doniate fut sûre qu’il n’y aurait pas un dernier cahot, elle se leva et, avec agilité et grâce, descendit du travois spécial. Voilà pourquoi elle est capable de voyager aussi loin, pensa le Zelandoni grassouillet.

Zelandonia, chefs et visiteurs procédèrent aux présentations rituelles. Les chefs des Cavernes auxquelles appartenaient les jeunes chasseurs furent contents de les retrouver. Leur lointaine était déserte, personne ne les avait vus depuis plusieurs jours et leurs familles, qui commençaient à s’inquiéter, demandaient qu’on envoie un groupe à leur recherche. L’explication de leur retour avec les visiteurs ferait sans doute l’objet d’une histoire captivante qu’ils raconteraient plus tard.

— Dulana ! s’exclama un homme.

— Mère ! Tu es venue ! lancèrent joyeusement deux jeunes voix en même temps.

Le vieux Zelandoni de la Quatrième Caverne du Sud leva les yeux, étonné. Dulana était si abattue après avoir été brûlée qu’elle ne trouvait pas la force de sortir de son abri, et voilà qu’elle venait à la Réunion d’Été. Le doniate se promit de chercher à savoir ce qui l’avait fait changer d’avis.

Il fut immédiatement décidé d’organiser un festin et une Fête de la Mère en l’honneur de la Première et des visiteurs, et lorsqu’on apprit qu’ils désiraient voir le Site Sacré de la Septième Caverne, son Zelandoni commença à prendre les dispositions nécessaires. La plupart des cérémonies habituelles de la Réunion d’Été étaient terminées, à l’exception de la dernière Matrimoniale, et les participants s’apprêtaient à partir, mais du fait de l’arrivée des visiteurs la plupart résolurent de rester un peu plus longtemps.

— Nous pourrions organiser une chasse et une cueillette, suggéra le chef de la Septième.

— Avant notre départ, les chasseurs, notamment vos jeunes gens, ont intercepté une harde de cerfs en migration. Ils ont abattu plusieurs animaux et nous en avons apporté la plupart.

— Nous ne les avons pas préparés, précisa Willamar. Il faudra les dépecer, faire cuire ou sécher leur viande sans tarder.

— De combien de bêtes parles-tu ?

— Une pour chacun de tes jeunes chasseurs. Sept.

— Sept ! s’exclama un homme. Comment avez-vous pu en porter autant ?

— Ayla, tu leur montres ? demanda le Maître du Troc.

— Avec plaisir, répondit la compagne de Jondalar.

Ceux qui se tenaient à proximité remarquèrent son accent et comprirent qu’il devait s’agir de l’étrangère dont ils avaient entendu parler. Un grand nombre suivirent la jeune femme et Jondalar jusqu’à l’endroit où les chevaux attendaient patiemment. On avait attelé à Rapide et à Grise deux travois récemment fabriqués qui semblaient recouverts de feuilles de jonc. Ayla les écarta, révélant plusieurs carcasses de biches et de faons d’âges et de tailles variés.

— Vos jeunes gens ont montré beaucoup d’ardeur à la chasse, dit Jondalar, en se gardant d’ajouter « Mais peu de discernement ». Il y a de quoi faire un festin.

— Nous pourrions aussi utiliser les feuilles de jonc, fit une voix dans le groupe.

— Servez-vous, répondit Ayla. Il en reste beaucoup à l’endroit où nous nous sommes écartés de la rivière, ainsi que plein d’autres plantes bonnes à manger.

— Je suppose que vous avez déjà consommé celles qui poussaient près de votre camp, dit la Première.

Des grognements et des hochements de tête lui en donnèrent confirmation.

— Si quelques-uns d’entre vous sont prêts à monter sur les travois, nous les emmènerons à la rivière et nous rapporterons ce qu’ils auront cueilli, proposa Ayla.

Après avoir échangé des regards, plusieurs jeunes gens se portèrent volontaires. Ils allèrent prendre des bâtons à fouir et des couteaux, des paniers et des sacs en filet. Sur un travois ordinaire, deux ou trois personnes pouvaient s’allonger à demi ; sur celui conçu spécialement pour la Première, deux adultes de taille normale pouvaient s’asseoir côte à côte, trois s’ils étaient très minces.

Jondalar, Ayla et Jonayla montèrent sur les dos des trois chevaux, qui tirèrent en plus six personnes. Loup suivit. Arrivés à l’endroit indiqué, ils firent halte. Les jeunes gens descendirent, assez contents d’eux, et tous se déployèrent pour la cueillette. Ayla détacha les perches pour laisser les chevaux se reposer et les bêtes broutèrent tandis que le groupe s’activait. Loup flaira le sol, détala en direction du bois à la poursuite d’une odeur.

Ils furent de retour au camp en milieu d’après-midi. Pendant leur absence, d’autres avaient rapidement écorché et dépecé les cerfs, dont une bonne partie cuisait déjà. On avait même commencé à transformer plusieurs des peaux en cuir pour en faire des vêtements ou d’autres objets.

Le repas et la fête se prolongèrent tard dans la nuit, mais Ayla était fatiguée et dès que les détails de la visite du Site Sacré furent réglés – et qu’elle put se retirer sans être impolie – elle alla se coucher dans leur tente de voyage, avec Jonayla et Loup. Jondalar continua à discuter avec un autre tailleur de silex de la qualité de cette pierre dans divers endroits. Celui où ils se trouvaient offrait les meilleurs silex de la région.

Il promit à sa compagne de la rejoindre bientôt mais, quand il entra dans la tente, Ayla et Jonayla dormaient profondément, ainsi que plusieurs autres personnes avec qui ils la partageaient. La Première passerait la nuit dans la hutte de la Zelandonia. Ayla avait aussi été invitée et, bien que sachant que sa Zelandoni aurait aimé qu’elle noue des relations avec les doniates locaux, elle avait préféré rester avec sa famille. La Première n’avait pas insisté. Amelana fut la dernière à rentrer. Malgré les mises en garde d’Ayla contre des boissons grisantes pour une femme enceinte, Amelana était passablement ivre. Elle se coucha aussitôt en espérant qu’Ayla ne remarquerait rien.

 

 

Le lendemain matin, lorsque Ayla la réveilla et lui proposa de visiter la grotte sacrée, Amelana refusa en prétextant qu’elle avait fourni trop d’efforts pendant le voyage et qu’elle devait se reposer. Ayla et la Première savaient qu’elle souffrait simplement de la maladie du « lendemain ». Ayla fut tentée de la laisser en subir les affres mais dans l’intérêt de l’enfant à naître elle lui prépara le remède qu’elle avait mis au point pour Talut, le chef du Camp du Lion des Mamutoï, afin de soigner les maux de tête et d’estomac causés par des excès. Amelana n’en persista pas moins à vouloir rester sous sa fourrure de couchage.

Jonayla ne voulut pas partir non plus. Après la mésaventure des chevaux, elle craignait que d’autres chasseurs ne s’en prennent à eux et avait décidé de rester pour les protéger. Quand Ayla s’efforça de lui expliquer que tout le monde au camp savait maintenant que c’étaient des chevaux spéciaux, l’enfant répondit que quelqu’un qui l’ignorait pouvait survenir. Ayla ne pouvait nier que l’intervention de sa fille avait sauvé les bêtes et Dulana régla le problème en se proposant pour la garder. Elle ne serait que trop heureuse de le faire, sa propre fille avait à peu près le même âge. Ayla décida donc de lui confier Jonayla.

Ceux qui voulaient visiter la grotte peinte se mirent en route. Le groupe comprenait Celle Qui Était la Première et son ancien acolyte, Jonokol – devenu le Zelandoni de la Dix-Neuvième Caverne –, son acolyte actuel, Ayla, et Jondalar. Willamar vint aussi mais pas ses deux apprentis, qui avaient trouvé d’autres distractions. En outre, plusieurs Zelandonia qui participaient à la Réunion d’Été souhaitaient revoir le site avec pour guide le doniate de la Septième Caverne, qui le connaissait mieux que personne.

Il y avait dix Cavernes apparentées dans la région, chacune ayant sa propre grotte peinte s’ajoutant à celle de la Septième, la plus importante, mais la plupart n’offraient que des peintures et des gravures rudimentaires en comparaison. La Quatrième Caverne des Zelandonii du Sud, qu’ils venaient de visiter, comptait parmi les meilleures. Le groupe s’engagea dans un sentier qui montait vers le sommet de l’éminence qu’il avait découverte en pénétrant dans la vallée.

— On l’appelle la Colline de l’Oiseau Noir, dit le doniate de la Septième. Ou encore la Colline de l’Oiseau Noir Pêcheur. Invariablement, on me demande pourquoi et je n’en sais rien. J’y vois de temps en temps un corbeau ou une corneille, mais je ne sais pas si cela a un rapport. Le doniate qui m’a précédé n’en savait rien non plus.

— L’origine des noms se perd souvent dans les profondeurs de la mémoire, dit la Première.

La lourde femme était hors d’haleine mais continuait à gravir la pente. Le sentier en lacets rendait la montée plus facile, quoique plus longue.

Ils parvinrent enfin à une ouverture dans la roche calcaire, à un point élevé au-dessus de la vallée. L’entrée de la grotte était assez haute pour qu’on puisse y pénétrer sans baisser la tête, assez large pour deux ou trois personnes de front, mais les broussailles qui poussaient devant rendaient difficile de la trouver si on ne savait pas où chercher exactement. L’un des acolytes poussa sur le côté des pierres qui s’étaient détachées de la pente rocheuse et entassées devant l’entrée. Ayla fit preuve de son habileté à faire rapidement du feu – exercice assorti de la promesse de montrer comment faire au doniate de la Septième – puis on alluma torches et lampes.

Le Zelandoni de la Septième Caverne du Sud ouvrit la marche, suivi par la Première, Jonokol, Ayla, Jondalar et Willamar. Venaient ensuite les Zelandonia locaux qui avaient choisi de les accompagner, ainsi que deux acolytes. Un groupe de douze au total. L’entrée donnait sur le côté d’un passage partant vers la gauche et la droite. Ils décidèrent de tourner à droite et après une courte distance le passage se divisa en deux galeries. Ils se trouvaient dans une salle obstruée en son milieu par un bloc de pierre entouré de deux galeries, l’une étroite, l’autre plus large.

— Nous pouvons passer d’un côté ou de l’autre, nous arriverons au même endroit, expliqua le doniate de la Septième. Au bout, des rochers nous obligeront à revenir sur nos pas, mais il y aura des choses intéressantes à voir.

Ils prirent la branche étroite et arrivèrent aussitôt à une série de points rouges que le doniate de la Septième leur montra sur la paroi de droite. Ils en virent aussi sur celle de gauche et, quelques pas plus loin, ils s’arrêtèrent pour admirer un cheval peint sur la paroi de droite, suivi d’autres points et d’un lion qui dressait une queue extraordinaire, dont l’extrémité se recourbait vers le dos. Ayla se demanda si le peintre avait aperçu un jour un lion dont la queue fracturée était restée tordue. Elle savait que les os prenaient parfois des formes bizarres en se recollant.

Plus loin encore, toujours sur la paroi de droite, ils parvinrent à ce que le Zelandoni de la Septième appelait le Panneau des Cerfs. En voyant le dessin, Ayla pensa à des mégacéros femelles et se souvint du cerf géant peint dans la grotte sacrée proche de la Quatrième Caverne du Sud. En face, la paroi de gauche était marquée de deux gros points rouges. On en avait peint d’autres sur celle de droite après les cerfs, ainsi que sur le plafond voûté.

Curieuse de connaître le sens de ces points, Ayla hésitait à interroger le doniate. Finalement, elle se risqua à poser la question :

— Sais-tu ce que ces points représentent ?

Le grand barbu sourit à la jeune femme séduisante dont les superbes traits avaient une note exotique qui l’attirait.

— Ils ne signifient pas nécessairement la même chose pour chacun, répondit-il. Quand je suis dans l’état d’esprit adéquat, ils me semblent être des repères qui permettent d’accéder au Monde d’Après et, plus important encore, d’en revenir.

Ayla hocha la tête et sourit. Elle lui plaisait encore plus quand elle souriait.

Ils continuèrent à faire le tour du bloc central par la galerie étroite, qui finit par s’élargir. En tournant constamment à gauche, ils retrouvèrent la direction de l’endroit d’où ils étaient partis et traversèrent une salle beaucoup plus vaste qui avait manifestement été utilisée par des ours en hibernation. Les parois portaient les traces de leurs griffes qu’ils avaient enfoncées dans la roche calcaire. Lorsque le groupe approcha de l’entrée, le Zelandoni de la Septième alla droit devant, dans la direction qu’ils auraient prise s’ils avaient tourné à gauche tout de suite après avoir pénétré dans la grotte.

Ils s’engagèrent dans une longue galerie en restant près de la paroi et ce ne fut qu’à l’approche d’une ouverture à droite qu’ils relevèrent d’autres marques : sur le plafond bas de la galerie, quatre empreintes de main rouges en négatif, un peu floues, trois points rouges et quelques traits noirs. En face de l’ouverture, une série de onze gros points noirs et deux autres empreintes en négatif, obtenues en plaquant une main sur la paroi et en projetant autour de la couleur rouge. Lorsqu’on retirait la main, il restait sa forme entourée d’ocre. Le doniate de la Septième tourna à droite dans l’ouverture.

Au-delà des empreintes de main, la roche devenait plus tendre, comme couverte d’argile. La grotte, située bien au-dessus de la vallée, était relativement sèche, mais sa pierre calcaire était naturellement poreuse et une eau saturée de carbonate de calcium la traversait constamment. Goutte après goutte, au fil des millénaires, se formaient des stalagmites qui semblaient pousser du sol sous des stalactites, de tailles égales mais de formes différentes, suspendues au plafond. Parfois, l’eau s’accumulait dans le calcaire et rendait la surface des parois suffisamment molle pour qu’on puisse y tracer une marque uniquement avec les doigts. Sur celle de droite, certaines parties étaient couvertes de ces marques, pour la plupart des gribouillis, mais on distinguait cependant une représentation partielle d’un mégacéros avec ses énormes bois palmés caractéristiques et sa petite tête.

Il y avait d’autres signes peints en rouge ou en noir là où la surface était suffisamment dure, mais Ayla eut le sentiment qu’à l’exception du mégacéros la salle recelait une quantité de marques sans ordre apparent qui n’avaient aucun sens pour elle. La jeune femme commençait néanmoins à apprendre que personne ne savait ce que signifiaient les images et marques des grottes ornées. Personne, probablement, ne connaissait le sens exact de telle ou telle marque, sauf peut-être celui qui l’avait tracée, et encore. Si l’une des peintures d’une grotte éveillait quelque chose en vous, ce que vous ressentiez était ce qu’elle signifiait. Cela pouvait dépendre de votre état de conscience – parfois altéré – ou de réceptivité. Ayla repensa à ce que le Zelandoni de la Septième Caverne lui avait expliqué quand elle l’avait interrogé sur les rangées de gros points. Faisant une réponse très personnelle, il lui avait confié ce que ces points signifiaient pour lui. Les grottes étaient sacrées mais Ayla commençait à penser que ce caractère sacré reposait sur des critères personnels. C’était peut-être ce que ce voyage était censé lui apprendre.

Au sortir de la salle, le doniate de la Septième s’approcha du côté gauche de la galerie principale qui y menait. À cet endroit, elle s’incurvait et ils longèrent un moment la paroi gauche. Puis le Zelandoni leva sa lampe pour éclairer un long panneau d’animaux peints en noir, en partie les uns sur les autres. Ayla remarqua d’abord les mammouths, très nombreux, ensuite les chevaux, les bisons et les aurochs. L’un des mammouths était couvert de marques noires. Le Zelandoni de la Septième ne fit aucun commentaire sur le panneau et se contenta de rester assez longtemps pour que chacun puisse y voir ce qu’il voulait. Lorsqu’il remarqua que la plupart des visiteurs commençaient à se lasser – sauf Jonokol, qui serait probablement demeuré plus longtemps uniquement pour étudier la technique du peintre –, il repartit. Il leur montra ensuite une corniche ornée de bisons et de mammouths.

Avançant lentement, ils examinèrent d’autres marques et animaux, mais l’endroit où le doniate s’arrêta de nouveau était véritablement remarquable. Sur un large panneau, deux chevaux peints en noir se tournaient le dos et l’intérieur de leurs corps était ponctué de gros points noirs. D’autres points et empreintes de doigt entouraient les contours des deux bêtes, mais le plus extraordinaire, c’était la tête du cheval tourné vers la droite. Petite, elle s’inscrivait dans un dessin naturel de la roche qui ressemblait à une tête de cheval : la forme même de la roche avait dit à l’artiste qu’il fallait peindre un cheval à cet endroit. Tous les visiteurs furent impressionnés. La Première, qui connaissait déjà ce panneau, sourit au Zelandoni de la Septième. Ils étaient tous deux ravis d’avoir obtenu la réaction qu’ils attendaient.

— Sait-on qui a peint ces chevaux ? demanda Jonokol.

— Un ancêtre, mais pas très éloigné de nous, répondit le doniate. Laissez-moi vous montrer quelques détails que vous n’avez peut-être pas remarqués immédiatement.

Il s’approcha de la paroi, tint sa main gauche au-dessus du dos de l’animal tourné vers la gauche et plia le pouce. Il le plaça à côté d’une des formes jouxtant le cheval et il devint évident que cette empreinte en négatif était celle d’un pouce replié. Maintenant qu’on le leur avait montré, les visiteurs virent d’autres contours de pouce le long du dos du cheval de gauche.

— Pourquoi ces dessins ? demanda un jeune acolyte.

— Tu devrais poser la question au Zelandoni qui les a peints, répondit le doniate.

— Mais tu viens de dire que c’était un ancêtre.

— En effet.

— Il parcourt le Monde d’Après, maintenant.

— Certes.

— Alors, comment pourrais-je lui poser la question ?

Le Zelandoni de la Septième se contenta de sourire au jeune homme, qui fronça les sourcils. Les gloussements qui s’élevèrent du groupe le firent rougir, et il bredouilla :

— Je… je ne peux pas, c’est ça ?

— Peut-être quand tu auras appris à passer dans le Monde d’Après. Certains Zelandonia en sont capables, comme tu le sais, mais c’est très dangereux et tous ne s’y risquent pas.

— Je ne crois pas que tous les éléments de ce panneau soient l’œuvre d’une même personne, avança Jonokol. Les chevaux probablement, ainsi que les empreintes de main, mais je pense que les pouces et certains des points ont été ajoutés plus tard. Je vois aussi un poisson au-dessus du cheval de gauche, mais ce n’est pas très net.

— Tu as peut-être raison, dit le doniate. C’est très bien observé.

— Il a un œil d’artiste, intervint Willamar.

Ayla avait remarqué que Willamar avait tendance à garder ses réflexions pour lui et elle se demanda si c’était une habitude prise pendant ses voyages. Lorsqu’on rencontre beaucoup de gens, il est sage de ne pas exprimer spontanément ses opinions sur des inconnus.

Le Zelandoni de la Septième attira ensuite leur attention sur d’autres marques et peintures, notamment une forme humaine avec des traits qui pénétraient son corps ou en sortaient, comme celle de la grotte sacrée de la Quatrième Caverne du Sud, mais après les exceptionnels chevaux rien de particulier ne se distingua du reste, hormis des formations rocheuses bien plus anciennes que les peintures. De larges disques de calcite nés des mêmes phénomènes géologiques que la grotte elle-même décoraient une salle à laquelle on n’avait ajouté aucun ornement, comme si, créés par la Mère, ils suffisaient à embellir cet espace.

 

 

Après la visite, la Première était impatiente de repartir mais elle se sentit tenue de rester encore un moment pour remplir son rôle de Première parmi Ceux Qui Servaient la Mère, notamment envers la Zelandonia. Pour certaines des communautés qui vivaient sur le territoire des Zelandonii, la Première était presque une figure mythique, un haut personnage dont elles reconnaissaient l’autorité mais qu’elles voyaient rarement, et qu’elles n’avaient d’ailleurs pas vraiment besoin de rencontrer. Ces groupes étaient plus que capables de fonctionner sans elle, mais ils étaient pour la plupart ravis et tout excités lorsqu’elle leur rendait visite. S’ils ne la considéraient pas comme une incarnation de la Mère, elle était à coup sûr Sa représentante et elle les impressionnait par sa stature imposante. Avoir un acolyte qui exerçait un pouvoir sur des animaux rehaussait encore son prestige.

Pendant le repas du soir, le Zelandoni de la Septième alla voir les visiteurs, s’installa près de la Première avec son assiette et lui parla à voix basse. Il ne murmurait pas tout à fait comme un conspirateur mais Ayla ne l’aurait pas entendu si elle n’avait pas été assise de l’autre côté de la doniate.

— Nous projetons une cérémonie spéciale plus tard dans la soirée à l’intérieur de la grotte sacrée et nous aimerions que ton acolyte et toi vous joigniez à nous si vous êtes d’accord.

La Première lui adressa un sourire encourageant en songeant qu’elle avait bien fait de décider de rester plus longtemps.

— Ayla, cela t’intéresserait ?

— Si tu le souhaites, je t’accompagnerai volontiers, répondit l’acolyte à sa Zelandoni.

— Jondalar pourra s’occuper de Jonayla ?

— Sûrement.

Ayla eut tout à coup moins envie de prendre part à cette cérémonie si son compagnon n’y était pas invité, mais il n’appartenait pas à la Zelandonia.

— Je passerai vous prendre, dit le doniate. Habillez-vous chaudement, il fait frais la nuit.

Après que la plupart des convives se furent couchés ou furent passés à une autre activité – boire, danser, jouer, selon leur choix –, le Zelandoni de la Septième Caverne revint à leur camp. Jondalar attendait près du feu avec Ayla et la Première. S’il n’était pas enchanté que sa compagne sorte la nuit pour participer à une cérémonie secrète, il ne fit aucune remarque. Après tout, elle suivait une formation de doniate et cela incluait de prendre part à des cérémonies secrètes avec d’autres Zelandonia.

Le doniate de la Septième alluma les torches qu’il avait apportées au feu qui brûlait encore dans l’âtre. En regardant le groupe s’éloigner, Jondalar fut tenté de le suivre, mais il avait promis de garder Jonayla.

Loup eut apparemment la même envie et s’élança derrière le trio, mais revint peu de temps après. Il se glissa à l’intérieur de la tente, renifla l’enfant endormie, ressortit, regarda dans la direction qu’Ayla avait prise, rejoignit Jondalar et s’installa près de lui. Il posa la tête sur ses pattes avant sans cesser de fixer le sentier menant à la grotte et Jondalar lui caressa le cou en disant :

— Elle t’a renvoyé, toi aussi, hein ?

L’animal geignit doucement.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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